Comment adapter le modèle des paiements à l’heure des crises sanitaires ?

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Olivia BERNANOSE

Directrice d’activité
Moyens de paiement
Les crises sanitaires récurrentes dans l’histoire de l’humanité, telles des météorites, détruisent de nombreuses vies et économies, laissant sur leur passage son cortège de souffrances. Les croisades en leur temps ont transporté avec elles la lèpre et la peste, la découverte des Amériques, la rougeole, la variole, le typhus, et de simples rhumes décimèrent des peuples entiers. Leur diffusion est d’autant plus aisée qu’elle est portée par des microorganismes ou molécules invisibles. La vélocité des déplacements actuels permet en quelques heures de relier des continents, et a accéléré exponentiellement la propagation des épidémies. Si les échanges entre peuples contribuent au progrès économique et social de l’Humanité, toutefois les pandémies démontrent les limites et les contradictions des modèles actuels en vigueur. Et même si quelques grands du Net ou banques en ligne ont tiré leur épingle du jeu, il est temps de repenser et d’adapter les modalités de ces échanges pour assurer une cohésion sanitaire, écologique et économique.

Les paiements, maillon incontournable de l’économie, sont partie intégrante de ces modalités à adapter pour préserver les échanges et liens commerciaux, fondamentaux à la survie de l’Humanité. La gestion d’une crise passe principalement par cinq majeures : prévention, adaptation, information, collaboration et innovation. La prévention est la première arme à déployer, en dimensionnant les systèmes de paiement, pouvant basculer instantanément en mode mixte digital/proximité, complété par un dispositif renforcé de lutte contre les cyberattaques et la fraude. La société CERP a été victime récemment d’une fraude au fournisseur sur un montant de 6,6 M€ après une commande de masques et de gel. Ces mesures préventives devront faire cohabiter moyens de paiement traditionnels et solutions digitales, afin de limiter la fracture numérique et sociale. L’adaptation et l’information en cas de crise sont des armes indispensables, en déployant des parades aux espèces, chèques, saisie du code confidentiel sur les terminaux, tant pour les utilisateurs que les opérateurs. Les banques ont particulièrement été mobilisées accompagnant les entreprises et les particuliers pour maintenir la vie économique. Elles ont su déployer en urgence plusieurs mesures, notamment la levée des contrôles de délai sur les chèques circulants pour éviter leur rejet au-delà de six jours et l’adaptation du canal de distribution des cartes bancaires. Les banques ont appliqué les décrets gouvernementaux accordant des délais de paiement de cotisations, en annulant des flux de prélèvements déjà émis. Elles ont réorganisé les équipes et horaires d’ouverture des agences pour sécuriser leur accès et informer la clientèle sur leurs droits au niveau couverture des frais médicaux et d’annulation ou de rapatriement, et mise à niveau des assurances. La collaboration entre acteurs s’est révélée une arme efficiente. L’ensemble des acteurs de la monétique a relevé ce défi en permettant d’élever le plafond du sans contact à 50 € en moins de 15 jours via des scripts EMV. Des villes ont mis en place des réseaux de distribution en créant des plateformes web regroupant plusieurs commerçants de proximité. Des market places de confiance ont permis d’approvisionner de nombreuses entreprises.

L’innovation est aussi une arme essentielle dans une crise sanitaire, où les décisions et les actions doivent être prises rapidement sous contraintes. « Innover ou disparaître » comme le définit Olivier Laborde dans son livre, est plus que jamais une obligation en pandémie. Repenser, s’adapter, coopérer, se remettre en cause, s’ouvrir sont des éléments indispensables. Aujourd’hui, sur le marché des paiements, on trouve de nombreuses solutions innovantes, mais un tri s’impose dans la pléthore des solutions existantes qui brouille plus qu’elle ne répond aux besoins de la clientèle particulier ou professionnelle. Les échanges devront se montrer innovants, sachant déployer en un temps record un arsenal de mesures contrôlées, avec un niveau de qualité à repenser. La crise nous oblige à modéliser de bout en bout le cycle d’achat en un tout : de la mise en relation, en passant par le paiement et la livraison des biens et des produits par l’appui des acteurs locaux, le déploiement de drives. Ainsi, commerces de proximité, producteurs locaux ont plutôt bien passé la vague, voire ont vu leur chiffre d’affaires augmenter. Il faudra donc s’appuyer sur des market places de confiance, et proposer des kits clés en main omnicanal offrant site internet, site marchand multi modes de paiement, au parcours client facilitant les mesures de KYC, paiements mobiles et échelonnés, wallet et virement instantané permettant de s’affranchir des plafonds cartes. Pour les paiements de proximité, certes le sans contact répond partiellement à la mesure de distanciation, mais non suffisant, l’authentification par reconnaissance vocale sera une piste préférable à l’empreinte digitale. Google s’est lancé sur ce type de tests.

Un long chemin vers la digitalisation reste encore à parcourir, en France avant la pandémie, seulement 2,2 % des paiements étaient réalisés avec un mobile contre 35 % en Chine. Sans doute cette crise viendra modifier nos habitudes : notre planète transformée en matrice urbaine hyperconnectée gardera-t-elle cette structure ? Si les crises sanitaires génératrices de risques systémiques, covid-19 aujourd’hui ou grippe espagnole au siècle dernier, témoignent à leur façon des désordres d’une société devenue incontrôlable devant sa propre puissance, il est toujours temps de se reprendre et de corriger les biais. Pour parer à ces risques, l’innovation en matière de paiements collaboratifs et connectés, mais non déconnectés de la réalité, est l’un des piliers pour préserver l’équilibre économique, sanitaire et écologique. La fluidification des échanges par la digitalisation, l’authentification sans contact et vocale, la coopération avec les canaux de vente et de distribution seront des moteurs de cette transition, en privilégiant les acteurs locaux et les circuits courts. Les échanges, quelles que soient leurs formes, resteront car ils sont essentiels au progrès humain.