1/ Quelle est l’activité de Lemon Way ? 

Lemon Way est un établissement de paiement européen spécialisé dans la collecte pour compte de tiers, un nouveau métier exercé pour le compte de places de marché. La société a été créée par Sébastien Burlet en 2007 et a obtenu sa licence auprès de l’ACPR fin 2012. Sébastien Burlet, l’ingénieur et l’actuel Président, est « mister Tech » alors que je suis « mister Fin », pour le côté financier.

Notre nouveau métier est né de la directive des paiements DSP1 désormais transposée dans tous les pays européens. Celle-ci oblige les places de marché à faire appel à un tiers de confiance pour collecter l’argent de leurs clients et payer leurs fournisseurs. Le régulateur impose cette nouvelle contrainte pour protéger le consommateur final. Nous collectons l’argent des clients et le sécurisons dans un compte de cantonnement ouvert à notre nom dans une banque, jusqu’à ce que le client soit livré ou le projet financé dans le cadre du crowdfunding par exemple. Puisque l’argent ne circule pas dans les comptes de la place de marché, le risque de voir celle-ci disparaître avec l’argent des clients devient nul.

Les places de marché sont très nombreuses et n’ont pas toujours conscience des contraintes liées à la DSP1. Les places de marché financières, notamment les plateformes de financement participatif, sont venues à nous les premières parce qu’elles étaient elles-mêmes régulées. Parmi les 1 000 plateformes que nous servons actuellement en Europe, 200 sont des sites de crowdfunding au sens large.

Aujourd’hui, Lemon Way est une entreprise de 85 personnes de 20 nationalités différentes qui parlent 14 langues. Nous collectons des paiements et réalisons des KYC sur des personnes physiques ou morales du monde entier. Nous réalisons un chiffre d’affaires de 13 millions d’euros et générons un résultat après impôt d’environ 1,5 million d’euros.

2/ Comment une start-up peut-elle arriver à s’imposer dans cette industrie des paiements ? 

En innovant ! Nous avions la technologie et la licence d’établissement de paiement qui nous permettait d’ouvrir des comptes de paiement, appelés communément « wallets » ou porte-monnaie électroniques. Nous étions l’une des rares plateformes capables de répondre aux deux contraintes imposées aux places de marché : ouvrir des wallets en temps réel et déléguer la collecte des paiements des clients à un tiers de confiance régulé.

Les banques proposaient déjà des wallets mais sans rencontrer de succès. Elles lançaient des wallets sous des architectures « cloisonnées » par banque et rendaient l’expérience client difficile quand PayPal réussissait à séduire les consommateurs et les e-commerçants malgré ses coûts élevés. Ouvrir des millions de wallets à distance et en temps réel pour le compte de nouveaux acteurs économiques réclame une agilité et une structure de coûts que les banques n’avaient pas.

Les « monéticiens », les processeurs de la monétique comme Ingenico et Atos Origin, n’y sont pas allés non plus, considérant sans doute que notre métier était un métier bancaire comme en témoigne l’exercice de KYC. Sans doute n’ont-ils pas voulu concurrencer leurs clients, les banques. Il y avait alors devant nous ce que l’on appelle un « blue ocean », c’est-à-dire un espace sans concurrence… qui n’a pas duré longtemps.

Dans le B2B, les concurrents anglo-saxons présents dans l’acquisition des flux des e-commerçants ont créé des solutions pour les places de marché.

Heureusement pour nous, ils ne proposent pas de service de KYC de façon personnalisée. Par exemple, ils n’aident pas les places de marché à récupérer et à vérifier l’identité de leurs adhérents, l’origine et la destination des fonds, des vérifications de base pour le régulateur. Leur traitement de masse ne répond pas aux besoins, notamment des acteurs traditionnels qui découvrent qu’ils opèrent comme une place de marché. Ces gros acteurs doivent être accompagnés dans leur transition vers la conformité. C’est d’ailleurs un des métiers de Syrtals.

Par ailleurs, leurs coûts sont systématiquement supérieurs aux nôtres car nous bénéficions des tarifs très compétitifs de la monétique européenne à travers nos banques partenaires (BNPP, Sabadell, Barclays, CM CIC…). Nos attentes en termes de marge sont sans doute inférieures, dans l’intérêt des places de marché.

Dans le B2C, les concurrents de taille mondiale dans le métier du wallet sont américains (PayPal) et chinois (Alipay et Wechatpay). Là encore, nous bénéficions du fait qu’ils n’offrent aux places de marché ni la collecte pour compte de tiers ni le traitement du KYC bien qu’ils le fassent pour eux. Ils se cantonnent à l’activité B2C et c’est notre chance.

3/ Quelles sont vos perspectives de développement ?

La première opportunité pour Lemon Way réside dans la possibilité d’équiper les banques en leur vendant notre système d’information. Lemon Way est un établissement de paiement hybride qui a conservé son activité d’origine d’édition de logiciels bancaires. Aujourd’hui, deux des cinq premières banques françaises se sont déjà équipées de notre plateforme. Cela nous permet de servir, à travers les banques, des clients que nous n’aurions pas touchés par ailleurs. La mise à disposition de notre plateforme en marque blanche aux banques européennes leur permet de rattraper leur retard sur le wallet et finance notre croissance.

Cette opportunité est d’autant plus facile à saisir que nous travaillons déjà avec de nombreux partenaires bancaires. BNP Paribas est notre partenaire principal et nous accompagne parfois chez les grands groupes dans le cadre d’appels d’offres pour la collecte pour compte de tiers. D’autres prescripteurs dans la vente de logiciels sont les consultants en gestion de trésorerie comme Syrtals qui accompagnent les grands groupes et les banques dans la mise à jour de leurs systèmes d’information. Les banques et les grands corporates font confiance à leurs experts pour s’équiper, notamment sur des problématiques complexes comme la collecte pour compte de tiers.

À terme, nous aimerions aussi participer à l’élaboration d’un wallet européen avec d’autres acteurs du marché. Aujourd’hui, il y a une réelle absence de porte-monnaie électronique au niveau européen. Après les échecs des cartes paneuropéennes, cela serait dommage de constater que l’Europe n’arrive pas à lancer un moyen de paiement à l’échelle de son marché unifié.

Notre stratégie jusqu’à présent a été de nous concentrer sur le B2B et de servir des sites Internet qui recrutent dans les faits des wallets Lemon Way. L’inconvénient est que nous sommes peu connus de nos clients détenteurs de wallets et que ces derniers sont peu actifs.

L’opportunité serait de nous faire connaître des clients finaux et de trouver les moyens de rendre leur wallet actif ce qui serait aussi dans l’intérêt du prescripteur qu’est la place de marché. Communiquer auprès de nos clients finaux est un chantier que nous menons pour répondre notamment à la demande de notre régulateur.

L’enveloppe juridique européenne existe, il s’agit du compte de paiement. Les usages se multiplient avec la nouvelle économie (Uber, cagnottes, mobile payment…). Les acteurs européens comme les opérateurs Telecom perçoivent aujourd’hui l’opportunité d’y aller, mais il manque une volonté politique de créer une alliance et les moyens financiers pour créer une marque et rivaliser avec les gros acteurs mondiaux qui ont déjà plus de 500 millions de porteurs chacun. L’Europe offre l’opportunité d’équiper 350 millions d’Européens de wallets, nous sommes prêts à contribuer au défi avec les quelques dizaines de millions de wallets que nous ouvrirons dans le futur, au-delà des 4 millions déjà ouverts.