SYRTALS COMPLIANCE

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Sandra PION

Directrice d’activité

Sanctions en réaction à la guerre en Ukraine : les impacts sur les dispositifs LCB-FT

Depuis le 21 février 2022, date à laquelle le président russe a annoncé reconnaître l’indépendance des oblasts ukrainiens de Donetsk et de Louhansk, plusieurs pays de l’Union européenne, les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande… mettent en place, étendent ou renforcent une série de sanctions internationales dont certaines avaient été introduites dès 2014 avec l’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie. Cette situation, avec des sanctions qui continuent d’évoluer compte tenu du conflit en cours, génère un impact significatif pour les services de conformité, en charge, notamment, de s’assurer du bon respect des sanctions et des obligations de déclaration en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme ainsi qu’en matière de gestion des risques de cybersécurité liés à la criminalité financière.

Au niveau de l’Union européenne, les sanctions prises en réaction à la crise en Ukraine deviennent de plus en plus nombreuses[1] et comprennent notamment :

  • des mesures restrictives ciblées ou individuelles de gel des avoirs, d’interdiction de mettre à disposition des fonds, ou encore d’interdiction d’entrer sur le territoire de l’UE ou de transiter par celui-ci. Cela concerne une liste[2] de près de 850 personnes physiques et une cinquantaine d’entités (membres de la Douma d’État et membres du Conseil de la Fédération de Russie, décideurs, banques, hommes et femmes d’affaires, oligarques, hauts responsables militaires…) ;
  • des sanctions économiques ciblant les échanges avec la Russie et avec la Biélorussie dans des secteurs spécifiques, dont certaines existent depuis 2014[3] dans le cadre du suivi des accords de Minsk (accès limités aux marchés des capitaux de l’UE, embargo sur les exportations et importations d’armes, interdiction d’exportation des biens à double usage, de biens et technologies de radiocommunication destinées à la navigation maritime…). À ces sanctions s’ajoutent, depuis février 2022, d’autres mesures[4] qui étendent des restrictions financières existantes, interdisent les transactions avec les Banques centrales de Russie et de Biélorussie, excluent sept banques russes et limitent trois banques biélorusses du système SWIFT ;
  • des restrictions applicables aux relations économiques avec les zones des oblasts de Donetsk et de Louhansk non contrôlées par le gouvernement ukrainien (interdiction d’importer des marchandises, d’exporter certains biens et technologies, restrictions sur le commerce et les investissements, interdiction de prestations de services touristiques) qui s’ajoutent à celles déjà existantes avec la Crimée et Sébastopol[5], des sanctions individuelles et économiques contre la Biélorussie[6]
  • un ensemble de mesures complémentaires comprenant, entre autres, la fourniture d’équipements et de matériels aux forces armées ukrainiennes, une interdiction du survol de l’espace aérien de l’UE et de l’accès aux aéroports de l’UE pour tous les types de transporteurs russes, la suspension de la diffusion dans l’UE des médias d’État Russia Today et Sputnik.

Ces sanctions sont décidées par le conseil de l’UE, par des séries de mesures[7] et s’accompagnent d’actes juridiques, notamment des règlements d’exécution, applicables directement dès leur publication au Journal Officiel (JO) de l’UE[8].

De surcroît, afin de faciliter l’application immédiate du gel des avoirs, l’article L. 562-3-1[9] du Code Monétaire et Financier impose une exécution dès la publication des éléments d’identification des personnes désignées au registre national des personnes[10], i.e., sans attendre la publication des règlements d’exécution au JO.

Rappelons, également, que le régime juridique du gel[11] consiste à empêcher tout usage des fonds par les personnes visées, et toute utilisation des autres ressources économiques « afin d’obtenir des fonds, des biens ou des services de quelque manière que ce soit » et que, en principe, le gel des avoirs est une mesure d’indisponibilité temporaire.

L’impact de mise en œuvre des mesures de gel par les équipes des entreprises assujetties en sus d’être immédiat :

  • nécessite une organisation et des procédures internes préalablement définies, conformément à l’article L. 562-4-1 du Code Monétaire et Financier. Des guides ou lignes directrices [12] viennent également préciser les attentes des autorités (ACPR, AMF) ;
  • génère une obligation de résultat. Tout manquement peut faire l’objet de sanctions disciplinaires par l’ACPR et de sanctions pénales[13] incluant, entre autres, une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement.

La mise en œuvre nécessite également que les équipes soient bien formées et informées des sujets LCB-FT ainsi que des sanctions.

Sur le plan international, la liste des sanctions[14] ne cesse également actuellement de s’agrandir. Les chefs d’État et de gouvernement des 27 États membres de l’Union ont ouvert, jeudi 10 mars, à Versailles, un sommet consacré à la crise qui devrait se traduire par de nouvelles sanctions. Plusieurs autres pays ont émis des sanctions en dehors de l’UE. Les États-Unis, par exemple, ont, depuis le 21 février 2022[15], mis en place des sanctions économiques, financières, d’exportation ainsi qu’un embargo sur les importations américaines de pétrole et de gaz russes.

Notons, que les sanctions émises en dehors de l’UE ne sont pas à appliquer au sein de l’Union européenne, conformément au règlement n° 2271/96 dit « de blocage[16] » qui annule (sauf autorisation par la Commission européenne) les effets, dans l’UE, de toute décision de justice étrangère fondée sur des lois, règlements et autres instruments législatifs désignés en annexe du règlement. Cependant, les sanctions étrangères s’appliquent quand même aux activités pour lesquelles l’OFAC[17] peut exercer sa compétence, c’est-à-dire, en ce qui concerne les transactions réalisées par des « US Person », utilisant le système financier américain ou pour les opérations réalisées depuis le territoire américain.

 La mise en œuvre des mesures devra également s’accompagner d’une mise à jour de la cartographie des risques LCB-FT notamment, et d’une revue des profils risques des clients…. Ce sera l’objet de notre prochain article. À très bientôt. Dans l’attente, n’hésitez pas à nous contacter et visiter nos pages www.syrtals-compliance.com

[1] Compte tenu du nombre croissant de sanctions, la DG Trésor propose et publie une consolidation actualisée des textes juridiques concernant les sanctions visant la Russie et la Biélorussie du fait de la situation en Ukraine.
[2] Décisions (de Politique Etrangère et de Sécurité Commune) du Conseil européen concernant les mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine 
[3] Russie: l'UE reconduit pour six mois supplémentaires les sanctions économiques liées à la situation en Ukraine
[4] Communiqués de presse du conseil de l’Union européenne des 25 février 2022, 02 mars 2022 et 09 mars 2022  
[5]  Sanctions UE suite à l’annexion de la Crimée et de Sébastopol par la Russie
[6] Mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie
[7] Chronologie - Mesures restrictives de l'UE en réaction à la crise en Ukraine
[8] L 0421, L81, L82 et Consolidation des textes européens (règlements UE et décisions PESC) par la DG Trésor pour la Russie et la Biélorussie.
[9] L 562-3-1 du Code Monétaire et Financier -
[10] En France, la liste des personnes et entités sanctionnées par le gel des avoir est tenue par la DG du Trésor sur un registre https://gels-avoirs.dgtresor.gouv.fr/
[11] Ukraine > Du gel à la confiscation des avoirs des personnes liées au régime russe ?
[12] Lignes directrices conjointes de la DG du Trésor et de l’ACPR sur la mise en œuvre des mesures de gel des avoirs, guide sur le gel des avoirs de l’AMF, gel des avoirs : renforcement du dispositif par ordonnance
[13]  article L 574-3 du Code Monétaire et Financier et les 1 et 1 bis de l’article 459 du Code des Douanes
[14] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/02/25/guerre-en-ukraine-le-point-sur-les-sanctions-internationales-a-l-encontre-de-la-russie_6115269_4355770.html
[15] Décret exécutif sur le blocage des biens de certaines personnes et l’interdiction de certaines transactions […], Fiche d'information : sanctions financières et contrôles à l'exportation, sanctions économiques, Mise en œuvre des sanctions contre la Russie en vertu du Règlement sur l’administration des exportations (EAR) et 2022-04300.pdf (federalregister.gov), Décret exécutif sur l’interdiction de certaines importations et de nouveaux investissements […], Sanctions liées à l’Ukraine et à la Russie, Sanctions contre les activités étrangères nuisibles de la Russie, Sanctions contre la Biélorussie
[16] article 5 du règlement n°2271/96 et En quoi consiste le règlement européen du 22 novembre 1996, dit « de blocage » ?
[17] OFAC - Office of Foreign Asset Control : https://home.treasury.gov/news/press-releases/jy0608