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Victor CHAMPIOT

Référent monnaies numériques

Les monnaies numériques dans les paiements : usage et enjeux

Les cryptomonnaies sont intrinsèquement liées aux paiements. En 2009, Bitcoin apparaît comme le premier protocole informatique basé sur une blockchain. Selon le white paper de Satoshi Nakamoto, Bitcoin est initialement pensé comme un système de paiement de pair à pair, sans institution financière intermédiaire. Il introduit une cryptomonnaie : le bitcoin (BTC), qui est une monnaie numérique décentralisée.
Comme le bitcoin, d’autres cryptomonnaies ont été créées par la suite, parmi lesquelles :

  • l’ether (ETH) lié à la blockchain Ethereum, qui héberge de nombreuses applications décentralisées ou Dapps (programmes informatiques autonomes apportant des fonctionnalités spécialisées et fonctionnant grâce à des smart contracts) ;
  • le ripple (XRP) lié à la blockchain du même nom, qui vise à remplacer le réseau de paiements internationaux Swift ;
  • le solana (SOL) lié à la blockchain du même nom, qui augmente fortement la vitesse de traitement des transactions.

Dans le domaine du commerce, on constate à la fois une demande croissante des consommateurs pour les paiements en cryptomonnaie et un fort intérêt business des marchands (rapidité, frais bas, profil dépensier des consommateurs qui payent en cryptomonnaie). Ces paiements sont effectués par transfert d’un portefeuille numérique ou Wallet à un autre. Des acteurs spécialisés du secteur (réseaux de transfert, PSP crypto, fournisseurs de stockage, plateformes d’échange…) proposent des solutions pour émettre et recevoir des paiements en cryptomonnaie.
Dans le cas de Bitcoin, les paiements ont l’avantage d’être :

  • fiables : mécanisme robuste de validation des transactions sur la blockchain ;
  • traçables : données des transactions consultables par tous ;
  • volumineux : Bitcoin a dépassé Visa en valeur de transactions en 2024 ;
  • rapides : entre 10 minutes et 1 heure en moyenne ;
  • peu coûteux : frais variables en fonction de l’activité du réseau, mais faibles en comparaison des modes traditionnels de paiements nationaux frais bancaires inclus (tenue de compte, carte bancaire…) et encore davantage par rapport aux paiements internationaux.

Cependant, l’adoption des cryptomonnaies à grande échelle se heurte à la volatilité de leur valeur et à leur principe de décentralisation, et donc de désintermédiation des institutions.

En 2014, des cryptomonnaies dites stables apparaissent : les stablecoins. Émis sur des blockchains déjà existantes, les stablecoins ont la particularité d’avoir un cours indexé sur une autre valeur (une monnaie traditionnelle fiat qui est souvent le dollar, une matière première comme l’or…) et ont pour collatéral des actifs du monde réel (souvent la valeur sur laquelle ils sont indexés), d’autres cryptomonnaies ou rien du tout. À ce jour, les deux stablecoins les plus capitalisés sont le tether (USDT) et l’USD Coin (USDC), tous les deux portés par des entreprises américaines (Tether et Circle) et indexés sur le dollar américain.

Les stablecoins ont d’abord été utilisés comme outil pour le trading, grâce à leur position de pont entre les monnaies traditionnelles et le marché des cryptomonnaies. Ils ont ensuite émergé pour les institutions financières et les entreprises comme une alternative aux paiements internationaux et aux virements de trésorerie. Dans le commerce, les paiements en stablecoins présentent un risque de volatilité réduit, en comparaison des cryptomonnaies, ce qui bénéficie aux consommateurs et aux marchands. Les transactions en stablecoins ont ainsi, comme pour Bitcoin, dépassé celles de Visa en valeur en 2024.
L’adoption des stablecoins par les acteurs économiques est globalement croissante et s’appuie sur la réglementation, mais son ampleur dépend des politiques locales qui sont plus ou moins accommodantes.
En 2023, l’Union européenne a promulgué la réglementation MiCA (Markets in Crypto-Assets) qui établit un cadre juridique inspiré de celui de la finance traditionnelle pour les cryptomonnaies, particulièrement contraignant pour les stablecoins (approbation requise, collatéralisation à 100 %, audits réguliers, versement d’intérêts interdit). Les initiatives européennes dans ce domaine sont rares. On note tout de même celle de la Société Générale qui a développé ses propres stablecoins : en 2023 l’EUR CoinVertible (EURCV) indexé sur l’euro et en 2025 l’USD CoinVertible (USDCV) indexé sur le dollar américain.
À l’opposé émerge aux États-Unis une forte dynamique autour des stablecoins sous l’impulsion de l’administration de Donald Trump, qui a promulgué la réglementation Genius Act en 2025 pour encadrer et soutenir leur usage.
On observe que de grands acteurs du marché des paiements intègrent ou prévoient d’intégrer les stablecoins dans leur offre : Visa, MasterCard, PayPal, Stripe… et, au-delà, OpenAI dans ChatGPT.
En réponse, la banque américaine JP Morgan a créé le JP Morgan deposit token (JPMD), soit la représentation numérique en dollar de ses dépôts bancaires. C’est un exemple de tokenisation des actifs réels ou « RWA » (Real World Assets). JP Morgan pourrait être suivie par d’autres institutions financières traditionnelles dans cette démarche, afin de faire face à la menace de désintermédiation incarnée par les stablecoins.

Depuis la fin des années 2010, les États travaillent sur des monnaies numériques de banque centrale (MNBC, ou CBDC en anglais pour « Central Bank Digital Currency »). Elles sont inspirées des cryptomonnaies, dont la décentralisation a été remplacée par la centralisation de la banque centrale. Une MNBC est ainsi une monnaie numérique émise par une banque centrale, sur une blockchain ou non, et équivalente aux espèces en termes d’usage. Dans son fonctionnement, elle se décompose en une monnaie numérique de gros permettant les règlements entre institutions financières, et en une monnaie numérique de détail, utilisée par les entreprises et les particuliers comme mode de paiement et monnaie légale.
Le développement des MNBC constitue un enjeu capital pour les États face aux velléités d’expansion regionals, voire mondiales, des stablecoins américains, dont certains sont indexés sur d’autres monnaies que le dollar, ou de la MNBC chinoise (e-CNY), qui vise à concurrencer le dollar. On constate ainsi une opposition stratégique entre les États-Unis qui soutiennent leurs stablecoins et l’Union européenne qui limite l’adoption des stablecoins et compte sur sa MNBC, l’euro numérique, pour défendre sa souveraineté.

Les monnaies numériques provoquent un véritable bouleversement dans le monde des paiements et tous les acteurs, spécialistes des cryptomonnaies, banques et institutions financières traditionnelles, États et banques centrales souhaitent conquérir leur part de marché pour des motifs économiques, mais aussi géopolitiques.