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Virement instantané : le défi du criblage contre les listes de sanctions
Depuis le 9 janvier 2025, un nouveau système de filtrage des virements contre les listes de sanctions est en vigueur en vertu d’un règlement européen adopté en mars 2024.
Point sur les défis que rencontrent les banques dans l’application de ce règlement.
Le contexte
Une législation européenne de 2012 concernant les exigences techniques et commerciales pour les virements et les prélèvements en euros impose que les virements soient filtrés par des outils automatisés pour garantir (obligation de résultat) que les donneurs d’ordre et les bénéficiaires ne figurent pas dans les listes de gel des avoirs émanant de l’ONU, de l’Union européenne ou des États membres.
Le dispositif de détection couvre à la fois les bases clientèle (le stock) et les opérations de transfert et de réception de fonds (les flux). Le dispositif de ciblage sur le stock est réalisé tous les jours (de nuit) par les établissements teneurs de comptes. Il est bien maîtrisé : chaque PSP traite ses bases clientèle, par principe bien renseignées du fait des obligations de la procédure KYC. Les faux positifs sont peu nombreux, car la base clientèle évolue peu chaque jour. En revanche, le filtrage des flux est plus complexe, car les bénéficiaires des virements sont des tiers et peuvent n’être connus du Prestataire de Service de Paiement (PSP) du donneur d’ordre que juste avant l’émission du virement.
Le dispositif de filtrage sur les flux génère de nombreux hits, créant des coûts importants pour les banques, mais peu d’impacts pour les clients sur le virement SEPA classique, les investigations étant réalisées sans problème durant le délai d’un jour que met le virement pour arriver sur le compte du bénéficiaire. Les hits de premier niveau sont traités par des opérateurs en Asie (par exemple Bangalore) pour bénéficier du décalage horaire et les investigations de second niveau sont traitées tôt le matin par les services Conformité en France.
Sur le virement instantané, le filtrage est, à l’inverse, très problématique pour la qualité de service, car les PSP sont dans l’impossibilité de vérifier, dans les 10 ou même 20 secondes autorisées, les opérations arrêtées par les systèmes, qui, par conséquent, sont rejetées, ce qui ne permet pas au virement instantané d’offrir un process fiable et prévisible.
Des différences dans l’application de la réglementation de 2012
Le droit de l’Union européenne ne fixant pas de règles précises quant à la procédure que doivent utiliser les PSP, chacun applique des méthodes différentes, en fonction des orientations données par les autorités nationales concernées. En France, les lignes directrices conjointes de l’ACPR et de la DG Trésor (juin 2021) posent le principe que seuls les virements transfrontaliers doivent être filtrés, c’est-à-dire à destination d’un IBAN autre que français.
En revanche, dans de nombreux pays européens (Espagne, Pays-Bas, Belgique…), le filtrage est systématique même sur les flux domestiques avec donc des impacts du filtrage sur la qualité de service décuplés.
Le règlement européen de mars 2024 sur le virement instantané
Ce règlement dont l’objectif est de favoriser l’essor du virement instantané a interdit de procéder aux vérifications sur les flux tant au PSP du payeur qu’au PSP du bénéficiaire. Désormais, la fiabilité du dispositif de gel des avoirs repose uniquement sur le fait que chaque PSP filtre ses bases chaque jour : le PSP du donneur d’ordre garantit que son client ne fait pas l’objet de gel des avoirs ; le PSP du bénéficiaire fait de même sur son client.
Le règlement introduit des sanctions très importantes et uniformisées au niveau européen pour garantir que chaque PSP fasse son travail correctement. Il a imposé la mise en place de cette mesure à compter du 7 janvier 2025.
Le bilan huit mois plus tard
Tout d’abord, il faut rappeler que les banques ont toutes appliqué une interprétation stricte du règlement en excluant uniquement les listes de l’UE ; elles ont conservé le filtrage sur les listes nationales et de l’ONU.
L’impact opérationnel favorable est cependant important puisqu’il y a à la date de rédaction de cet article 4 665 noms sur les listes UE, contre seulement 1 056 sur les listes ONU et 83 sur les listes France.
Les grandes banques ayant des intérêts aux États-Unis utilisent également les listes OFAC SDN (Specially Designated Nationals) contenant 17 000 noms.
Le droit européen est censé interdire aux PSP de se conformer aux prescriptions ou interdictions fondées sur la législation des États-Unis, mais au final les PSP restent libres de les utiliser et on comprend bien pourquoi !
Le filtrage OFAC a un impact variable selon les pays ; il est, par exemple, très significatif en Espagne du fait de nombre important de noms sud-américains dans ses listes.
L’application du règlement de 2024 sur le virement instantané a donc amélioré le niveau de service en réduisant les nombres de virements non aboutis à cause des hits dus au filtrage. Les pays les plus bénéficiaires de cette amélioration sont ceux qui filtrent également les flux domestiques. Globalement, cette directive a donc permis de progresser dans la qualité de service du virement instantané, mais le filtrage des sanctions reste un challenge opérationnel.