Editorial

Question 1 : Dans un environnement économique incertain et fortement digitalisé, comment les directions financières peuvent-elles repenser la gestion du cash pour en faire un véritable levier de pilotage stratégique ?
La gestion du cash reste un fondamental : basiquement, les recettes doivent être supérieures aux dépenses. Le rôle du trésorier est de s’assurer que l’argent rentre le plus vite possible et sorte le plus tard possible, tout en ménageant les partenaires (fournisseurs, clients). Avec, en sus, l’optimisation de la gestion des liquidités via des systèmes de centralisation des fonds. Les outils numériques leur donnent les moyens d’améliorer ce pilotage.
Par exemple, l’obligation à venir d’utiliser la facturation électronique pour les grandes entreprises (à partir de septembre 2026) va apporter une clarté considérable dans les relations interentreprises. Il ne sera, par exemple, plus possible d’invoquer la non- réception de la facture (par mail ou par la poste) comme excuse. Si la facturation électronique ne garantit pas d’accélérer les encaissements en cas de mauvaise foi, elle devrait permettre d’accélérer les paiements lorsque le retard est dû à des problèmes administratifs. D’autre part, les échanges, encore à normaliser, entre ces plateformes de facturation et les TMS fluidifieront la gestion de trésorerie. D’ailleurs La Banque Postale, qui propose une offre de facturation électronique à ses clients PME/ETI, avec son partenaire Docaposte, y travaille avec des éditeurs de la place.
Nous travaillons aussi à une offre de multi-encaissement permettant à nos clients de gérer en un point unique l’ensemble de ses moyens de paiement. Là encore la digitalisation facilite la vie du trésorier.
Question 2 : Quelles innovations et applications spécifiques vous semblent les plus prometteuses pour accélérer concrètement les encaissements et sécuriser les transactions des entreprises ?
L’application la plus prometteuse pour améliorer le pilotage de la trésorerie est sans conteste le développement du virement instantané (VI). Alors que le virement ordinaire peut entraîner des délais de réception de plusieurs jours chez le bénéficiaire, notamment si la transaction intervient une veille de WE ou de jour férié, le VI apporte une véritable souplesse dans les flux. Par exemple, l’entreprise bénéficiaire du VI améliore ses encaissements et ses arrêtés comptables de fin de période, ayant la certitude d’une disposition immédiate des fonds. À terme, d’ici une dizaine d’années, l’usage du virement instantané pourrait se généraliser et dominer le marché.
Un exemple parlant du développement du VI est le projet européen Wero/EPI, qui utilise le virement instantané, aujourd’hui pour les paiements entre particuliers, et, en France, dès fin 2026 pour les règlements en e-commerce (les Allemands viennent de démarrer). Entre 2026 et 2028 est prévu un déploiement progressif en magasins physiques. Wero est un facteur d’accélération majeur de rentrée du cash pour les entreprises.
Ce système offre des avantages tangibles et immédiats :
– Une forte accélération des délais d’encaissement : un paiement client effectué à 15 h 41 arrivera sur le compte du commerçant à «15 h 41 » et 10 secondes contre des délais de 24 à 72 heures en carte bancaire.
– Autre avantage du VI, la sécurité et les coûts : le VI est irrévocable, il n’y aura plus d’impayés.
– Enfin, les coûts : Wero est conçu pour coûter moins cher que les solutions de cartes bancaires traditionnelles.
– Et, dernier point : WERO est un facteur important de souveraineté européenne, sujet essentiel en cette période un peu « agitée ».
– Le déploiement est un succès indéniable : les volumes, chez LBP, ont déjà largement dépassé ceux de son prédécesseur, paylib, et nous rentrons plus de 100 000 nouveaux utilisateurs actifs chaque mois.
– Comme indiqué plus haut, l’’offre e-commerce arrivera en fin 2026 en France, avec les premiers pilotes en T4. Progressivement, tous les services existants de la carte bancaire (remboursement, abonnement, débit différé, drive, etc.) seront proposés par Wero.
Le virement se développe donc, mais son talon d’Achille reste le lettrage : qui n’a pas été déjà confronté à un virement au crédit de son compte… dont on ne sait qui nous l’a adressé… La réponse, ce sont les comptes virtuels, comme le propose par exemple notre EP (Établissement de Paiement) Ezyness, avec l’offre Ezyban.
L’entreprise bénéficiaire sait immédiatement qui l’a payée, évitant ainsi des relances inutiles, ce qui participe à l’amélioration du quotidien des trésoriers et des services comptables.
Enfin, il est important de noter que si la vitesse est un atout, elle augmente le risque de fraude. Le virement instantané fraudé est difficile à rattraper, car l’argent est parti en quelques secondes. Le VOP (Verification of Payee) est un premier pas de lutte contre la fraude mais il n’est pas la panacée. Les banques doivent selon moi faire évoluer leurs réflexions pour continuer d’adapter leurs processus de lutte contre la fraude, afin de parer non seulement la fraude externe, mais aussi aider les clients à déjouer les fraudes internes, parfois exercées sous la contrainte ou la menace.
Question 3 : Comment La Banque Postale et le banquier transactionnel envisagent-ils l’évolution de leur rôle dans cet écosystème dominé par la digitalisation, les fintechs et les plateformes ?
Face à l’évolution rapide du marché, le banquier transactionnel reste un partenaire de confiance. La Banque Postale, propose, par exemple, avec ses partenaires des plateformes de commerce électronique, de paiement, de multi-encaissements ou encore de facturation électronique : la banque engage son image, gage de sérieux et de fiabilité, ce qui rassure ses clients, qui ainsi préfèrent passer par la banque plutôt que par des éditeurs tiers. Elle fournit aussi un service co-construit et « clés en main » qui répond bien aux besoins des clients et facilite l’intégration dudit service.
L’engagement envers le projet Wero souligne le rôle de la banque dans la défense de la souveraineté européenne face aux géants américains. EPI est un projet fédérateur qui rassemble la communauté bancaire européenne (française, allemande, belge, hollandaise, et bientôt le reste de l’Europe suite aux accords passés avec Europa).
Pour autant, malgré la numérisation croissante, la banque doit maintenir l’équilibre entre solutions digitales et moyens de paiement espèces. Le maintien des espèces est une nécessité, martelée par la Banque de France. Sans espèces, le risque existe d’être démuni en cas de catastrophe (souvenons-nous de l’ouragan de Mayotte). Les espèces sont aussi indispensables sur le plan des libertés individuelles : dans certains pays où leur usage disparaît, l’individu, que nous sommes tous, est soumis au pouvoir arbitraire des autorités qui peuvent à tout moment le priver des moyens de paiement électronique. Le banquier transactionnel doit donc accompagner la transition numérique sans éradiquer les moyens d’échange essentiels à la liberté de transaction.

