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Tokenisation, DLT & smart contracts : quand les custodians et les CSD réinventent la finance numérique
L’industrie du post-marché vit un moment charnière. Longtemps perçus comme des innovations périphériques, la tokenisation des actifs financiers, les registres distribués (DLT) et désormais les smart contracts s’imposent comme des briques technologiques capables de remodeler en profondeur la chaîne de valeur des marchés financiers. C’est non seulement une évolution, mais une transformation de fond qui redéfinit les infrastructures, les responsabilités, et les modèles économiques de l’ensemble du marché.
Quelques définitions
Distributed Ledger Technology (DLT)
La DLT est une technologie de registre distribué permettant à plusieurs acteurs de partager, synchroniser et valider un même registre de données sans autorité centrale unique. Chaque transaction est inscrite de manière immuable, horodatée et sécurisée cryptographiquement. La blockchain en est un exemple, mais toutes les DLT ne sont pas des blockchains.
Tokenisation
La tokenisation consiste à représenter un actif (titre financier, immobilier, dette, part de fonds, créance, etc.) sous forme numérique, un token, inscrit sur une DLT. Ce token devient alors l’expression officielle de la propriété, transférable presque instantanément, avec possibilité d’automatiser son cycle de vie.
Smart contracts
Les smart contracts sont des programmes qui s’exécutent automatiquement sur DLT.
Ils permettent de coder des règles réglementaires, opérationnelles ou contractuelles et d’en automatiser l’application : distribution de dividendes, validation d’un règlement DvP, mise à jour des droits de vote, fiscalité, reporting… Ils constituent le moteur opérationnel du post-trade digital.
Au cœur de cette mutation se trouvent les dépositaires globaux et prestataires de services titres, ainsi que les infrastructures systémiques que sont les CSD (Euroclear, Clearstream…), dont les rôles, responsabilités et modèles économiques sont amenés à évoluer. Certains y voient un risque pour les équilibres existants.
D’autres y voient l’occasion de refonder la finance sur des bases plus rapides, plus transparentes et plus efficientes. Une certitude émerge : la transformation est déjà engagée.
Un modèle robuste, mais sous tension
La chaîne post-marché repose aujourd’hui sur une architecture multi-intermédiaires : brokers, custodians, sub-custodians, CSD, CCP, asset managers. Ce modèle a assuré la stabilité du système, mais il est lourd, fragmenté, coûteux et repose sur des processus manuels et des réconciliations permanentes. L’Europe reste majoritairement en T+2 quand les États-Unis sont passés en T+1. À l’heure où la finance se mondialise, où la pression sur les coûts augmente, où l’instantanéité devient un standard, ce modèle éprouvé, mais complexe, atteint ses limites. La DLT
émerge alors non comme une alternative marginale, mais comme une réponse structurelle.
DLT Settlement Systems (DLT) : menace ou nouveau paradigme ?
Dans un système où l’actif et la monnaie sont tokenisés et coexistent sur une DLT, le règlement-livraison peut théoriquement s’exécuter sans infrastructure centralisée. Le registre distribué porte la preuve du transfert, la propriété et la finalité de règlement.
Ce périmètre touche le cœur même des missions historiques des CSD. Pourtant, la finance ne repose pas que sur une architecture technique : elle repose sur la gouvernance, la responsabilité juridique, le maintien de la stabilité systémique.
C’est pourquoi les expérimentations en Europe montrent que le futur ne sera pas la disparition des CSD, mais leur repositionnement en opérateurs d’infrastructures distribuées, garants de conformité, de résilience et d’interopérabilité.
De la conservation de titres à la conservation cryptographique
Pour les dépositaires globaux, la transition est profonde. Leur rôle pourrait évoluer de la conservation de titres vers la sécurisation de clés privées institutionnelles, la supervision des flux on-chain, l’audit et la validation de smart contracts, et la gestion automatisée des événements sur titres. La tokenisation ouvre également la voie à
des plateformes d’émission et de distribution programmables, où le reporting, la fiscalité et la gouvernance du titre sont exécutés par code.
L’enjeu opérationnel est majeur : moins de frictions, moins de réparations, moins de réconciliations, un settlement accéléré et un modèle OPEX structurellement plus léger.
Le rôle clé des smart contracts
L’innovation ne se limite pas à la numérisation des actifs. La rupture se produit lorsque les règles qui les gouvernent deviennent programmables. Grâce aux smart contracts, les corporate actions peuvent être distribuées automatiquement, les droits de vote ajustés en temps réel, un DvP peut s’exécuter instantanément, un coupon
peut tomber sans intervention humaine. La fiscalité, le reporting et même certains contrôles réglementaires peuvent être inscrits dans le code. Sans smart contract, la DLT améliore le registre. Avec smart contract, elle réinvente le post-trade.
Les CSD repositionnés
Les CSD demeurent la colonne vertébrale de la confiance systémique. Leur rôle se déplace progressivement de la tenue centralisée de registre vers la gouvernance des réseaux DLT, l’opération de nœuds institutionnels, la supervision des règles on-chain et l’interconnexion avec T2S. Leur valeur ne réside plus uniquement dans la centralisation de l’infrastructure, mais dans la capacité à assurer stabilité, conformité et continuité dans un marché distribué.
Une opportunité stratégique pour toute la chaîne de valeur
La DLT redistribue la valeur à l’ensemble de l’écosystème. Les custodians peuvent capter de nouveaux revenus via la custody cryptographique institutionnelle, l’audit de smart contracts et la distribution d’actifs tokenisés y compris dans le private market.
Les CSD peuvent devenir l’ossature technique des futures infrastructures financières paneuropéennes. Les asset managers, eux, bénéficient d’une distribution accélérée, d’un reporting temps réel et de processus transfrontaliers fluidifiés.
La DLT n’est pas un outil supplémentaire : c’est un nouvel environnement opérationnel.
Tokenisation, DLT et smart contracts ne sont pas une simple évolution technologique. Elles annoncent une refonte structurelle du post-marché. Les acteurs capables d’embrasser le modèle digital, programmable et interopérable deviendront les piliers du système financier de demain. Les autres risquent de voir le marché se reconfigurer autour d’eux. La question n’est plus si la finance se tokenisera, mais qui écrira l’architecture de ce nouveau marché.

