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L’IA passe à la vitesse supérieure dans la BFI Marchés
L’intelligence artificielle (IA) est en train de redessiner les coulisses de la banque de financement et d’investissement (BFI), bien au-delà des desks de trading. Les fonctions support sur les marchés financiers (juridique, conformité, middle office, gestion du collatéral, reporting réglementaire, risques de marché) sont désormais en première ligne de cette révolution.
Cas d’usage concrets de l’IA dans les fonctions support
Aujourd’hui, certaines grandes BFI ont mis en place des modèles d’IA capables d’analyser automatiquement les confirmations de trades, d’extraire des clauses critiques des annexes ISDA, ou de générer des rapports de P&L journaliers en quasi-temps réel. En gestion du collatéral, l’automatisation IA des appels de marge ou la priorisation des mouvements inter- juridictionnels permet de réduire les délais d’allocation et de sécuriser les expositions.
En matière de conformité, les outils de surveillance des communications (emails, chats, appels) sont dopés par le NLP pour identifier en amont les risques de manipulation de marché ou d’abus de position. Le middle office, quant à lui, voit apparaître des algorithmes capables de réconcilier les écarts post-trade ou de générer des alertes prédictives sur des incidents opérationnels.
Les récents travaux de l’ISDA sur la digitalisation des annexes de support de crédit (CSA), grâce à l’IA générative, montrent à quel point ces transformations sont concrètes. En rendant intelligibles et interopérables des documents complexes jusqu’ici traités manuellement, l’IA devient un levier de modernisation des chaînes post-trade !
Impacts de l’IA sur les fonctions support
Au middle office et en post-trade, l’IA améliore la qualité et la rapidité du traitement post-marché : réconciliation intelligente entre systèmes front et back via des modèles de machine learning, détection automatique des écarts entre booking et confirmation, priorisation des incidents selon leur criticité et l’impact financier.
Certaines banques ont aussi recours à l’IA pour simuler l’impact d’un incident opérationnel sur la chaîne de valeur complète d’un produit structuré, permettant une meilleure gestion proactive.
On notera l’exemple de l’ISDA et la démonstration sur la gestion du collatéral et des CSA, en mai 2025, l’ISDA a publié une étude démontrant l’efficacité des modèles d’IA générative pour extraire et digitaliser les clauses clés des Credit Support Annexes (CSA). Huit grands modèles de langage (LLM) ont été testés sur leur capacité à identifier les éléments critiques (seuils de marge, règles d’éligibilité des actifs, appels de marge intraday, etc.). Résultat :
certains modèles ont atteint un taux de précision supérieur à 90 %. Cette avancée ouvre la voie à une intégration directe des CSA dans le Common Domain Model (CDM) de l’ISDA, facilitant leur utilisation dans des workflows automatisés de gestion du collatéral et en conformité et contrôle des risques de marché, la surveillance des communications avec le NLP pour détecter des comportements à risque (ex. : spoofing, collusion).
L’IA prédictive permet d’anticiper les expositions sensibles à la volatilité ou au stress de liquidité. Enfin, l’automatisation des contrôles ex post sur des opérations à caractère potentiellement abusif est également facilitée.
Gouvernance de l’IA : un enjeu clé pour les fonctions support
En ce qui concerne la conformité réglementaire et le modèle de gouvernance, avec l’arrivée du règlement européen sur l’intelligence artificielle (AI Act), les fonctions support devront s’assurer que les systèmes IA déployés sont :
- explicables, avec des logiques décisionnelles compréhensibles par les
équipes risques et conformité. - traçables, via des journaux de traitement clairs (log data, audit trails).
- supervisés, avec des modèles validés et re-calibrés régulièrement.
L’IA entraîne une nouvelle articulation des responsabilités, avec la création de comités de gouvernance IA métiers au sein de la BFI, impliquant les équipes risques opérationnels marchés, juridique structuration, les experts modèle (quants) et data management, et même des représentants du front office pour ajuster l’usage métier.
La gouvernance s’inscrit donc aussi dans la logique du model risk management, qui est étendue aux algorithmes non financiers.
Nouveaux talents dans les fonctions support
L’intégration de l’IA entraîne une mutation des rôles existants et l’émergence de profils inédits et hybrides, avec l’émergence de nouveaux métiers tels que :
– AI Legal Analyst (Marchés) spécialisé dans l’analyse de la documentation
contractuelle dérivés/ISDA avec l’IA ;
– Risk Model Steward en charge de la gouvernance des modèles IA utilisés par les fonctions support ;
– AI Trade Surveillance Officer, expert des outils IA de détection comportementale.
Le déploiement de l’IA nécessite aussi une montée en compétences pour les fonctions historiques, notamment pour l’interprétation des outputs IA et de la mise à disposition d’outils no-code/low-code pour permettre à des fonctions non techniques d’utiliser l’IA dans leurs workflows.
Pour conclure, l’IA transforme structurellement les fonctions support de la BFI côté marchés. Loin d’un simple outil d’automatisation, elle devient un vecteur de gouvernance augmentée, d’agilité opérationnelle et de compétitivité. Les initiatives comme celles de l’ISDA sur les CSA montrent que cette transformation est déjà en marche, portée par des acteurs de référence.
Une gouvernance robuste, une montée en compétences ciblée, et l’intégration progressive de nouveaux métiers au cœur de la chaîne post-trade sont les clés du succès. L’IA ne remplace pas les fonctions support sur les marchés financiers, elle les fait entrer dans une nouvelle ère de performance et de résilience.